VOYAGE
BN
ISLANDE ET AU GROENLAND.
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VOYAGE
EN
ISLANDE ET AU GROËNLAND
EXÉCUTÉ PENDANT LES ANNÉES 1835 ET 1836
SUR LA CORVETTE
LA RECHERCHE
COMMANDÉE PAR M. TRÉHOCART
Lieutenant de Vaisseau
DANS LE BUT DE DÉCOUVRIR LES TRACES DE LA LILLOISE
JpublU par orbrr îru i^0Uî)rrnrmrnt
sous LA DIRECTION
DE M. PAUL GAIMABD
Président de la Commission scientifique d’Islande et de Gr^ënland.
ZOOLOGIE ET MÉDECINE
PAR M. EUGÈlffE ROBERT.
PARIS
ARTHÜS BERTRAND, ÉDITEUR
Libraire de la Société de Géographie, rue Hautefeuille, 21
1851
AVERTISSEMENT.
Chargé par le ministère de la marine de terminer la publication des voyages de la corvette la Recherche en Islande et au Groenland, nous devions encore, après la relation de ces voyages que nous avons donnée dans le deuxième volume de Fhistorique, dire quelque chose de la médecine, de la statistique et de la zoologie; malheureusement, malgré tous nos efforts, il nous a été impossible de nous procurer les documents néces- saires pour traiter convenablement la dernière de ces sciences, n’ayant pu, quant à nous, qui n’avions en- trepris de parcourir l’Islande que pour nous y livrer exclusivement à la géologie et à la botanique nous
* Minéralogie, géologie et botanique, par M. Eugène Robert. Voyage en Islande et au Groënland, 6' et 7' livraisons.
AVERTISSEMENT.
occuper sérieusement du règne animal. Ajoutons à cela, que les personnes qui auraient pu nous prêter leur concours éclairé, pour cette branche des sciences naturelles, ont été empêchées dans leur bon vouloir*, au moment qu’il s’agissait de livrer cette livraison, la dernière de la publication , au dépôt des cartes et plans de la marine.
Quoi qu’il en soit, pour ne pas rester en arrière du mandat que nous avons accepté, tous nos soins se sont portés sur la médecine et , à defaut d observa- tions sufTisantes de notre part, nous avons entrepris la traduction d’un auteur danois qui a publié récem- ment sur l’Islande, un ouvrage médical du plus grand intérêt : indépendamment de la description qu’il donne des maladies particulières à cette contrée et que nous avons cru devoir reproduire entièrement ,
' N’ayant pu notamment recevoir, en temps opportun, de M. Valen- ciennes, membre de l’Académie des sciences , la description des poissons et antres animaux figurés dans l’atlas zoologique , que ce savant avait bien voulu entreprendre à notre prière, nous croyons devoir informer les souscripteurs , que ce travail important n’en trouvera pas moins na- turellement sa place, dans le texte de la zoologie du voyage de la Recherche en Scandinavie; la publication de ce voyage n’étant que la suite du pre- mier , ainsi que d’ailleurs le témoignent les instructions qui forment la première partie de l’historique de l’Islande.
Pour un motif semblable, nous comptons aussi faire paraître, à la suite de nos observations géologiques en Scandinavie , en Laponie , au Spitzberg et en Russie, la relation du voyage de la Recherche , d’Islande au Groënland, que M. Méquet, lieutenant de vaisseau, nous avait égale- ment promis de nous faire parvenir en temps et lieu, pour la joindre à notre relation des voyages du même bâtiment en Islande, et que nous n’a- vons pas encore reçue.
AVERTISSEMENT.
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nous en avons extrait de curieux paragraphes sur les fous et sourds - muets , les charlatans , les sa- ges-femmes , la physique , l’hygiène , etc. , où l’on pourra trouver des réponses satisfaisantes à la plu- part des questions que l’Académie des sciences morales et politiques et l’Académie nationale de mé- decine, nous avaient posées dans leurs savantes in- structions^ Nous aurions pu, il est vrai, emprunter à M. Thorsteinsson un grand nombre des faits rappor- tés par M. Schleisner; mais indépendamment de ce que le traité de l’auteur islandais a paru depuis long- temps en latin dans les Mémoires de V Académie de médecine, celui de notre confrère , beaucoup plus ré- cent, et composé également de cisu, offrait en outre, l’avantage de donner une statistique médicale qui re- monte jusqu’à 1844. Nous avons d’ailleurs emprunté au médecin en chef de Reykiavik , tout ce qui est re- latif à la lèpre; de sorte qu’avec les observations de M. Schleisner et les nôtres, qui se rattachent princi- palement aux figures d’éléphantiaques reproduites avec la plus grande vérité par M. Bévalet, dans \ Atlas médical, on pourra rencontrer, nous osons l’espérer, dans ce recueil , tout ce que cette affreuse maladie offre de remarquable en Islande.
Nous avons fait suivre la médecine du petit nombre
‘ V ojage en Islande et au Groénland. Histoire du voyage, tome premier, pages 1, 34, 102, 136, 195, etc.
avertissement.
faire , o y trouvent réellement en Is-
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tique de 1 Islanue, p
de toutes les planches contenues dans les gique, médical et géographique.
MÉDECINE ET ZOOLOGIE
ORGANISATION DE LA MÉDECINE
EN ISLANDE.
Il n y avait autrefois qu’un seul médecin pour toute l’Islande, qui n’a pas moins de quatorze à dix-huit milles carrés en superficie et compte de cinquante- huit à cinquante-neuf mille âmes. Aujourd’hui il y en a un à Reykiavik et six autres dans les différents districts de 1 île ; celui de la capitale porte le titre de médecin général de l’Islande. Il doit avoir fait ses études à Copenhague et subi les examens nécessaires ; le traitement annuel qu’il reçoit du gouvernement est de dix-huit cents francs ; les médecins des autres dis- tricts ne touchent que neuf cents francs; ils doivent se rendre partout où ils sont demandés et traiter gra- tuitement ceux dont l’indigence est reconnue.
Le médecin de Reykiavik, qui remplit aussi les fonc- tions de chirurgien accoucheur, prépare des sages- femmes qui doivent toujours être au nombre de cinq dans la capitale ; une seule est payée par le gouverne-
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ment. D’après de récentes ordonnances à ce sujet, l’Islande aura bientôt un assez grand nombre de sages- femmes qui ne pourront manquer d’etre très-utiles dans ce pays, où tant d’enfants meurent en venant au monde ou peu de temps après , victimes de la négli- gence avec laquelle ils sont reçus ou des soins mal dirigés qu’on leur administre.
Enfin il y a à Reykiavik , un pharmacien désigné par le gouvernement danois, et chaque médecin des autres districts doit avoir dans sa demeure une collec- tion des médicaments les plus nécessaires.
OBSERVATIONS MEDICALES
NOTAMMENT
SUR LA LÈPRE
PAR M. E. ROBERT.
De toutes les maladies qu’on observe en Islande, il n’y en a pas qui soit plus digne d’attirer l’attention que la lèpre ; aussi , est-ce principalement sur cette horrible affection que nous nous permettrons de dire quelques mots Nous nous sommes d’ailleurs engagé à rendre un compte aussi fidèle que possible, d’un as- sez grand nombre de dessins habilement faits par M. Louis Bevalet , sur cette maladie et dont les moins
* Nous avions recueilli un assez grand nombre d’observations médi- cales faites en Islande , mais ayant eu le malheur de ne pas conserver une copie de notre manuscrit, lorsque nous le remîmes à M. Double pour être l’objet d’un rapport à l’Académie des sciences, il nous fut im- possible jusqu’à présent de le recouvrer , soit chez les héritiers de M. Double, soit dans les archives des deux académies. M. L. Bevalet , moins heureux encore que nous , a perdu de la même manière , tous les dessins de lépreux qu’il avait faits à Drontheim lors du troisième voyage de la Recherche dans le Nord.
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repoussants ont été choisis pour composer l’atlas mé- dical du voyage de la corvette la Recherche, en Islande et au Groenland.
Sous les noms de likpra ou likthra, et mieux de holdsvecke, an holveiki (peau nouée, rugueuse), les Islandais désignent une dermatose dans laquelle les médecins de la Norvège admettent aujourd’hui deux formes, la lèpre tuberculeuse et la lèpre anesthétique ; l’une ayant principalement son siège dans le tissu dermoïde et la membrane muqueuse , l’autre se por- tant de préférence sur les centres du système nerveux qu’elle tend à paralyser ; c’est la spedalskhed du Nord, qui a été quelquefois confondue avec le radesyge (pro noncez radesugue), {thœria tuberculosa, morbus alrox), autre forme de la lèpre qui n’est peut-être que le de- gré le plus élevé de la même maladie et caractérisée surtout par la chute graduelle et spontanée des ex- trémités ( le docteur Hjaltelin ‘ donne à cette espèce d’éléphantiasis , le nom de lèpre arctique et ulcé- reuse ) ; c’est enfin l’ancien éléphantiasis des Grecs, peint comme on sait avec de si vives couleurs par Arétée^ Ajoutons tout de suite, afin de nous enten- dre sur la véritable valeur du mot lèpre, en Islande , que, d’après la description que nos meilleurs'écrivains modernes sur les maladies de la peau ont donnée de cette maladie®, la lèpre proprement dite {^lepra vul-
' Hjaltelin, Dissertalio inauguralis de radesyge, lepra et elephantiasi scp- tenlrionaü, Kiliæ, 1839.
Arétée, De morbus acut., lib. H, cap. xiii.
Willan , Biett , Rayer, Cazenave, etc.
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garis) est une affection squameuse caractérisée par des plaques arrondies, élevées sur les bords et dépri- mées au centre.
De tout temps cependant, la lèpre a été considérée en Islande comme une affection scorbutique. Peter- sen l’a décrite en 1769, sous le nom de scorbut islan- dais (den islandske skiorhug^ ; Bjarn Pállsson et Eggert Olafsson ^ ont émis l’opinion que cette maladie ( la lè- pre des Islandais ) dénote le plus souvent le degré le plus avancé de ce genre de scorbut dont Boerhaave ^ fait connaître les phénomènes et les symptômes. « Elle commence, disent-ils, par des gonflements aux pieds et à la tète ; quelquefois toutes les parties du corps en sont atteintes ; la peau devient luisante et prend une couleur plombée ; les cheveux tombent ; la vue, l’odorat, le goût et le toucher diminuent ; les bras, les pieds et le visage se couvrent de boutons; des douleurs se font sentir dans toutes les articulations ; une éruption règne enfin sur tout le corps. » Il est bon cependant de faire remarquer que les deux noms de skiorhug et de spedalskhed sont usités en Islande, in- distinctement pour désigner la meme maladie. Enfin tout récemment le docteur Thorsteinsson de Reykia- vik l’a appeléé lepra genuina scorbutica.
Notre intention n’étant pas de faire une nouvelle monographie de cette maladie, qui porte autant de
* Reise gjennem Island. Sorö , 1772 , p. 324.
* Gerardi L. B. Van Swieten , Commentaria in Hermanni Boerhaave aphorismos de cognoscendis et ciirandis morbis, t. III, p.609, Lngduni Ba- tavorum, 1743.
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noms qii il y a peut-être d’auteurs (cent vingt-cinq à cent trente) qui en ont parle et de pays où elle a été observée maladie qui, du reste, nous semble avoir été parfaitement décrite dans ces derniers temps, par MM. Danielsen et Boeck ayant encore moins la’pré- tention de chercher parmi les caractères protéiques que paraissent lui imprimer les différents climats sous lesquels elle se manifeste, à établir jusqu’à quel point il convient de regarder la lèpre d’Islande comme une affection scorbutique ou simplement cutanée sous deux ou trois formes (tuberculeuse, anesthétique et ulcé- reuse), nous nous bornerons, disons-nous , ainsi que nous l’avons entrepris pour la relation du voyage, à publier seulement ce que nous en avons vu. Obligé cependant de négliger les prodromes, par suite de la perte de notre recueil d’observations médicales pré- senté à l’Académie des sciences, il y a une quinzaine d années , nous ne mentionnerons guère , et encore , en nous aidant des dessins de M. Bevalet et des notes que M. Gaimard a bien voulu nous communi- quer, que les symptômes qui nous sont restés parfai- tement dans la mémoire,
’ Nous aurions pu surtout la comparer à la lèpre du moyen âge pour laquelle, au xn<= siècle, on comptait dix-neuf mille léproseries dans toute la chrétienté; en France seulement, du temps de Louis VIII, il y en avait bien deux mille. On comprenait alors sous le nom de lèpre , toutes les affections graves de la peau parmi lesquelles rien n’était peut-être plus rare que la véritable lèpre , autrement dite la lèpre squameuse et même l’élépliantiasis des Grecs.
* Traité de la spedalskhed ou elephantiasis des Grecs. Paris . 1848, chez Baillière.
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PREMIÈRE OBSERVATION.
Islandais âgé de cinquante-cinq ans ; Reykiavik, 15 mai 1835.
Le docteur Thorsteinsson nous ayant conduits, M. Gaimard et moi, dans un bær situé à l’une des ex- trémités de la ville, nous vîmes à la lueur d’une chan- delle allumée exprès pour nous et au fond d’une espèce d’alcôve obscure dans laquelle il était impossible de se tenir debout et d ou s’exhalait une odeur infecte , un être humain qui nous offrit les caractères suivants : c était un homme qui nous a paru devoir être assez grand, étiolé, à figure très-allongée , au teint pâle; les yeux avaient complètement disparu ; la poitrine et les membres étaient couverts de taches rougeâtres , légèrement ulcérées , offrant quelque ressemblance avec la forme de sangsues recourbées sur elles-mêmes; les doigts et les orteils , surtout ces derniers , étaient rétractés; les articulations paraissaient gonflées.
Ce malheureux , qui s’était mis sur son séant, pour répondre aux questions du médecin, ne nous parut pas aussi affaissé au moral qu’il l’était au physique , sa conversation, par moment fut assez animée.
Depuis une vingtaine d’années qu’il était affecté de la lèpre, il en passa quinze sans être alité ; et depuis cinq ans il végétait dans l’espèce de cercueil anticipé où nous l’observâmes.
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DEUXIÈME OBSERVATION.
Joannes, âgé de vingt-cinq à trente ans; Skoganes, 16 juin 1835.
Ce jeune homme, qui nous avait servi de guide de- puis notre départ de Reykiavik jusqu’à Skoganes , où l’on nous apprit qu’il était lépreux, nous avait bien paru avoir une constitution évidemment scrofuleuse ; mais la rétraction des doigts de sa main gauche que nous avions attribuée à la même maladie ne devait, aux yeux des habitants , laisser aucun doute sur la véritable nature de la maladie à laquelle il fallait la rapporter , rétraction qui est regardée dans le pays comme un signe certain de lèpre.
Ayant eu la curiosité de l’examiner de plus près, nous constatâmes en effet que cette main était dé- pourvue de sensibilité ; nous trouvâmes une différence très-notable entre la température des deux mains , prise entre les doigts, à leur commissure, avec un pe- tit thermomètre à boule : la température de la cham- bre où se faisait l’observation se trouvant à 1 0” ^ cen- tigrades (au dehors elle était de 4” | -f- 0), la main droite et le pli de l’aine, chez Joannès, accusait23" cent. , tandis que sa main gauche, qui était malade, ne donnait que 17®. La différence était encore bien plus grande, de plus de moitié par exemple, comparée à la tempéra- ture générale du corps de chacun de nous , qui était
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dans le même temps, de 35” aussi bien aux mains qu’à la poitrine et à l’abdomen.
Ce cas , ainsi que le précédent , nous semble, en nous conformant aux divisions établies par les méde- cins du Nord, pour distinguer les différentes formes qu’affecte la lèpre chez eux, bien devoir être rapporté à la forme anesthétique.
TROISIÈME OBSERVATION.
Sigridur Jonsdet, âgée de quarante-neuf ans; Olafs- vik, 26 juillet 1835 ( Atlas médic., pl. viii).
Cette femme était affectée de la lèpre depuis trois ans ; sa maladie avait commencé par la figure, qui offrait, quand j’essayais de la dessiner, sur les ailes du nez, aux lèvres, au menton et notamment au front, de nombreux tubercules livides ; quelques-uns com- mençaient à se ramollir en s’ulcérant au sommet dans la région des joues, où se faisaient aussi remarquer de légères ulcérations rougeâtres semblables à celles de la première observation ; alopécie des cils et des poils des sourcils.
Il me fut impossible de voir si cette femme ne por- tait pas des traces de lèpre sur les autres parties de son corps ; elle ne paraissait pas , du reste , souffrir, quoiqu’elle fût d’une grande taciturnité.
La forme de sa maladie appartenait bien , suivant nous, à la lèpre tuberculeuse ou à l’éléphantiasis des Grecs.
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QUATRIÈME OBSERVATION.
Islandais âgé de vingt ans; Krosnes, 8 juillet 1835.
Dans le bær de ce nom , situé non loin de la mer, Tune des plus misérables habitations qu’il soit possible de rencontrer en Islande, où la lumière solaire péné- trait à peine et d’où s’exhalait une odeur nauséabonde, on nous fit voir un tout jeune homme menacé de perdre la vue par suite des progrès de la lèpre anes- thétique.
Sous le meme toit , nous vîmes une petite fille âgée de deux à trois ans que les scrofules, auxquelles il fallait sans doute rapporter la mort de ses autres frères et sœurs, au nombre de quatre, avaient déjà privée de la vue.
CINQUIÈME OBSERVATION.
Joan Bjarnason , âgé de vingt-quatre ans ; Reykia- vik, 19 juin 1836 (Atlas médical, pl. vu).
Couleur générale de la figure violacée ou d’un rouge vineux ; front peu développé, de couleur natu- relle; joues d’un rouge vineux, sourcils sans aucun poil , presque pas de cils , quelques-uns seulement à la paupière inférieure de chaque œil , un tubercule au milieu de la paupière supérieure droite , tubercule dur, non mobile; les deux paupières saillantes, gon-
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fiées, suitoiit, dans leur bord libre inférieur; yeux bleu clair; nez gros, saillant notamment aux narines, large, gonflé dans sa partie moyenne (cet état du nez est considéré par M. Thorsteinsson comme le signe précurseur de la lèpre).
A ces caractères de la figure recueillis par M. Gai- mard, il convient d’ajouter ceux qu’offrait la jambe gauche de ce malade, dessinée par M. Bevalet et non reproduite dans 1 atlas : à la partie postérieure des muscles jumeaux de ce membre , depuis leur portion moyenne jusque près de la cheville, ce n’était qu’une reunion de surfaces rougeâtres, en apparence cou- vertes de squames et d’autres de couleur lie de vin; ces dernières paraissant tantôt légèrement excoi iées , tantôt lisses.
D’après l’état dans lequel se trouvait la jambe de cet individu , eu égard surtout aux squames , on au- rait été porté à le considérer comme pouvant fournir un véritable exemple de Icpre vulgaire, lèpre squa- meuse; mais, indépendamment de ce que les squames n étaient pas disposées en plaques parfaitement orbi- culaires, mais bien continues, et de ce qu’il y avait des ulcérations qu’on refuse à la lèpre proprement dite, des tumeurs noueuses au-dessus des yeux, ainsi que l’état du nez, etc., nous obligent encore à ranger ce cas parmi les éléphantiaques.
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SIXIEME OBSERVATION.
Finnur Jónsson , âgé de trente-quatre ans ; Tbing- vellir, 22 juin 1836 (Atlas médical, pl. v).
Cet Islandais avait presque entièrement perdu la vue par suite d’un gonflement tuberculaire de la cor- née; une paralysie incomplète de la bouche avait forcé la commissure droite des lèvres à se porter plus d’un côté que de l’autre en se relevant un peu vers l’aile du nez; flaccidité des joues; les mains étaient très-œdémateuses , surtout la droite , qui portait au médius et sur l’articulation de la phalange métacar- pienne avec la moyenne une ulcération de forme ovale , à fond rougeâtre et à bords arrondis ; la chute de plusieurs phalanges unguifères empêchait les doigts de s’ouvrir; de petites ulcérations à bords semblables à la première étaient en outre disséminées sur les mains.
Chez cet Islandais, encore jeune, que nous revîmes à peu près dans le même état, l’année suivante ( 22 juin), époque à laquelle il a été dessiné par M. Bevalet , la forme anesthétique de la lèpre prédominait assu- rément.
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SEPTIÈME OBSERVATION.
Lépreuse observée par M. Gaimard dans le bær de Hôrgsland, le 11 juillet 1836.
Figure couverte d’ulcérations rougeâtres ; tubercules nombreux , de la même couleur que la peau.
HUITIÈME OBSERVATION.
Thorkalta Gisladôttir, âgée de trente-trois ans ; Grœnanes , 27 juillet 1 836.
Malade depuis cinq ans ; — pas de lépreux dans sa famille ; — a eu d’abord à la jambe gauche un érysi- pèle qui ne céda qu au bout de quatorze semaines au traitement de M. Beldring , composé de laxatifs , de vin stibié ; les cantharides furent aussi essayées. Elle ressentit a la meme époque des douleurs rhumatis- males dans le bras droit et une douleur vive à l’inté- rieur des os du pied gauche lorsqu’on l’exposait à l’air.
Après avoir perdu , il y a deux ans , les deux pha- langes du petit orteil par une plaie à la partie posté- rieure et externe, ce pied est aujourd’hui le siège d’une tuméfaction œdémateuse si forte , surtout en dehors, où la peau est cyanosée et offre de la mollesse, que les malléoles ne font plus de saillie ; la malade , dans l’impossibilité de fléchir sur la jambe, ne peut lui
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imprimer qu’un petit mouvement en dedans; elle en souffre beaucoup, surtout quand la matière contenue dans une tumeur située à la région de la malléole ex- terne s’écoule par de petites ulcérations; un coup de bistouri plongé dans la partie de cette tumeur où la fluctuation était le plus forte, en fit jaillir au loin un jet de pus. La peau du pied ne sent pas un attouche- ment leger; celle de la face plantaire, occupée par un large abcès a fond blafard, est insensible; cependant un froid intense y occasionne de la douleur.
Cette femme, chez laquelle on serait tenté, au pre- mier aboid, devoir un exemple de l’éléphantiasis des Arabes , mais dont la maladie la classe bien évidem- ment parmi les véritables éléphantiaques , est toujours de bonne humeur, sauf les instants de souffrance extrême. Mariée depuis six ans, elle a eu trois enfants, dont le plus jeune, âgé de dix-huit mois, est toujours malade ; elle n’a jamais été menstruée ; la vue était bonne.
NEUVIÈME OBSERVATION.
ïhorbiorg Sveinsdôttir , âgée de trente-huit ans; Grœnanes, 27 juillet 1836 (Atlas médical, pl. i).
Cette femme avait, par sa maladie, une grande ressemblance avec celle de la troisième observation ; seulement les tubercules qui lui déformaient le nez et le rendaient aussi large par en haut que par en bas, n’étaient pas encore ulcérés; les sourcils, qui avaient
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disparu sous les tubercules , avaient aussi perdu leurs poils et les paupières leurs cils ; la vue était obtuse.
Issue d’une famille où il n’y avait pas de lépreux (elle était cependant un peu parente de Thorkalta Gisladôttir, du même bær, et qui a fait le sujet de l’ob- servation précédente), Thorbiôrg Sveinsdottir était malade depuis quinze ou seize ans ; elle éprouvait des maux de tête; avait un son de voix inarticulé, faible et tout particulier. Gonflement du ventre ; menstrues rares et fort peu abondantes ; a été saignée du pied , souvent avec succès pour ses règles; elle est ordinai- rement fort gaie.
DIXIÈME OBSERVATION.
Arndis Einarsdôttir, âgée de trente-sept ans, du bær de Nés, 28 juillet 1836 (Atlas médical, pl. iv).
La maladie , chez cette femme , était surtout carac- térisée par des tubercules à la figure et aux mains ; ceux du front ne semblaient être qu’une exagération des plis qu’on observe dans cette région de la tête lorsque le sourcil est froncé, tandis que les tubercules du menton étaient parfaitement circonscrits, arrondis. Nous ferons remarquer, au sujet de cette lépreuse, que les tubercules des joues , dans ce cas-ci comme dans les précédents , paraissaient devoir être les pre- miers qui dussent s’ulcérer à leur sommet.
L histoire de cette femme , recueillie par M. Gai- mard, mérité d’élre rapportée entièrement.
« Arndis Einarsdóttir, malade depuis trois ans, a eu deux frères lépreux qui ont succombé à la maladie; cependant , ni son père ni son grand-père , ne furent lépreux; la maladie, chez elle, fut précédée d’une affec- tion psorique aux extrémités inférieures , avec insen- sibilité; à l’heure qu’il est, ces extrémités sont simple- ment enflées , sans ulcérations , pas plus que sur les autres parties du corps ; bien réglée, les menstrues ont commencé à dix-neuf ans ; la maladie n’a éclaté que six ans après son mariage, qui datait de neuf ans; son mari est devenu depuis lépreux ; ils ont eu deux en- fants , dont l’un est mort; le plus jeune a sept ans; la femme souffre souvent d’un pied , ce qui la force à rester dans l’inaction ; elle éprouve de la céphalalgie quand il fait chaud et qu’elle est exposée au soleil; elle est d’un caractère égal, ni trop gaie, ni trop triste; gonflement et prurit des pieds à la face dorsale sur- tout; la main gonflée permet cependant aux doigts de se mouvoir; elle a la vue bonne; elle n’est pas insensible au toucher, il y a seulement diminution. «
ONZIÈME OBSERVATION.
Sniôlfur Thorleifsson , âgé de quarante ans environ ; Nés, 28 juillet 1836 (Atlas médical, pi. vi).
Cet Islandais, le mari d’Einarsdóttir, chez lequel, les tubercules à la face par où la lèpre avait débuté depuis trois ans, n’affectaient d’abord que la région
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EN ISLANDE ET AU GROENLAND. ,g
frontale ; mais ils s’étaient tellement agglomérés entre les arcades surcilières , que la paupière supérieure sur- chargée couvrait, dans son affaissement, presque entiè- rement lœil; des rides nombreuses et profondes courant transversalement au-dessus des tubercules’ achevaient de donner un air farouche à ce lépreux en justifiant assez bien le caractère de cette forme.de elephantiasis que les Grecs ont appelée léontine; il voyait mieux de l’œil droit que du gauche; le bord libre des paupières était gonflé et assez dur.
Cependant la partie du corps où la lèpre avait fait e plus de ravage était la jambe gauche, dénudée sur les deux tiers au moins de son étendue, ou depuis le aut du mollet jusqu’aux malléoles et tout à l’entour par un ulcère blafard , à bords durs , coriaces, coupés verticalement, offrant une cicatrice tiraillée à la partie supérieure et externe de la jambe ; cette vaste surface ulceree offrait dans son contour une substance larda- cee, gonflee , inégale, avec bords rougeâtres extérieu- rement ; un pus blanc jaunâtre, peu abondant, recou- vrait plusieurs points; d’autres étaient très-secs- le
pied offrait un peu de difficulté à être porté en ’de- dans.
Les ravages de la maladie, chez ce malheureux, ne se bornaient pas à l’extérieur du corps : l’arrière- bouche, l’œsophage étaientaussi le siège d’ulcérations qui sécrétaient un pus jaunâtre et empêchaient sou- vent la déglutition.
Thorleifsson, dont le grand-père avait été lépreux mais non son père, était souvent d’une humeur mé-
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lancolique ; sa mémoire lui faisait défaut même, pour dire son propre âge.
DOUZIÈME OBSERVATION.
Torfi Stephanssou , âgé de trente-six ans , du bær de Litlubreiduvik , 29 juillet 1836.
Affecté depuis cinq ans delà lèpre, qui a commencé par la jambe droite ; aujourd’hui , les deux jambes sont malades et offrent , indépendamment d’un en- gorgement au cou-de-pied, les caractères suivants : A la jambe droite , un ulcère ovale , entouré d’une croûte épaisse supérieurement , laisse voir des fibres d’un aspect lardacé et des bourgeons cliarnus sangui- nolents; la peau, non attaquée par l’ulcère, est d’un aspect bleuâtre ; le pied de la même jambe est très- tuméfié et ulcéré à la face dorsale; les ongles sont presque tombés.
A la jambe gauche, un large ulcère entoure toute la partie inférieure de ce membre , excepté cependant en dehors ; les bords en sont arrondis, saillants et coupés à pic ; des croûtes tantôt bleuâtres , tantôt jaunâtres, le recouvrent; un autre ulcère règne aussi à la face dorsale du pied de cette jambe.
Torfi Stephanssou est le seul de lépreux dans sa famille; il éprouve des douleurs légères dans les jambes, bien qu’il les tienne enveloppées de linge. Son humeur est quelquefois un peu triste ; sa voix est voilée; il a bon appétit; mais il éprouve surtout après
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ie repas , une douleur abdominale pour laquelle il n’a jamais eu recours qu’à des laxatifs.
TREIZIÈME OBSERVATION.
Jon Jônsson , âgé de quarante-cinq ans , d’Eyrar- landi, près du comptoir d’Eya-Fiördur, sur la côte septentrionale de l’Islande , 1 5 août 1 836 (Atlas mé- dical, pl. iii).
Au bout de deux ans que la maladie s’était manifes- tée chez cet individu , des tubercules noueux occu- paient toute la région surcilière, et d’autres tubercules plus circonscrits étaient disséminés sur les autres par- ties de la figure ; le nez s’était déjà beaucoup élargi latéralement; les lèvres étaient grosses; les sourcils dégarnis de poils; il a eu une affection de poitrine; il souffre en respirant, tousse et parle à voix basse, dort bien et a bon appétit ; l’insensibilité est déjà grande aux mains et aux pieds couverts de quelques ulcères superficiels.
Jônsson n’est pas le seul lépreux qui ait existé dans sa famille ; il a perdu son frère de la même maladie.
QUATORZIÈME OBSERVATION.
Rôsa Olafsdôttir, âgée de soixante-huit ans, née à Jôdysastadir ; Môdrufell , 16 août 1836 (Atlas médi- cal , pl. II).
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Des tubercules plus ou moins ulcérés avaient envahi toute la figure, ce qui, joint aux rides de lage et à une bouffissure générale , ne permettait pour ainsi dire plus de distinguer les yeux, la bouche et les na- rines ; cependant on pouvait encore constater chez cette infortunée, qui nous a présenté l’exemple le plus repoussant de lèpre tuberculeuse et anesthétique qu’il nous ait ete permis de voir en Islande, que les lèvres, par suite de paralysie incomplète de la face , étaient plus tirées du côté gauche, et que l’œil de ce même côté, en apparence plus malade que le droit, laissait pendre sous la paupière supérieure , un tubercule ^ qui s était développé dans l’épaisseur de la membrane muqueuse.
La lèpre avait ensuite exercé d’affreux ravages aux extrémités inférieures ; les orteils du pied droit por- taient des cicatrices imparfaites qui témoignaient qu’ils avaient déjà perdu leurs dernières phalanges.
Cette femme, malgré Pliorrible état dans lequel l’avait jetée la lèpre dont elle était atteinte depuis une vingtaine d’années, ne paraissait cependant pas acca- blée par la douleur, car elle chantonnait pendant que M. Bévalet faisait son portrait.
Tel est le petit nombre d’observations qu’il nous a été
’ Ne pouvant affirmer qu’il y ait eu , dans le cas que nous avons rap- porté , hypertrophie plutôt d’un globe de l’œil que de l’autre, nous n’en devons pas moins faire remarquer le rapprochement qu’il nous semble y avoir, entre la fréquence plus grande de l’œil gauche malade en Islande, et 1 hypertrophie de ce même œil observée chez les spédalsques de la Norvège.
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donné de recueillir nous-méme sur la lèpre d’Islande. Bien que fort incomplètes, il est cependant facile de voir qu’elles se rapportent presque, pour ne pas dire toutes, à l’élépliantiasis des Grecs ou à la spedalskhed, tantôt tuberculeuse , tantôt anestliétique , et le plus souvent à ces deux formes réunies chez le même sujet. Non- seulement nous sommes porté à croire que ces deux états, analogues par leur essence intime, régnent à la fois chez tous les individus affectés d’éléphantiasis, mais que le radesyge , qui a été aussi considéré par quelques médecins comme une syphilis , n’est qu’un degré plus avancé de la même maladie éléphantiaque. Quant à la lèpre proprement dite , la lèpre des Grecs, suivant l’acception de nos auteurs modernes, cette ma- ladie nous paraît , d’après l’exemple que nous avons rapporté , et encore est-il douteux , devoir être très- rare en Islande, si même elle y existe; l’éléphantiasis des Arabes , caractérisé par une hypertrophie de la peau , principalement aux extrémités inférieures, serait tout à fait inconnu dans cette contrée, à moins d’y rapporter le malade qui a fait l’objet de notre onzième observation, et chez lequel l’éléphantiasis avait pris la forme léontine.
Suivant M. Thorsteinsson , la lèpre d’Islande siége- rait tantôt a la poitrine, tantôt à la tête ou aux extré- mités seulement; n’ayant vu, quant à nous, qu’un tres-petit nombre de cas, nous dirons avec toute la réserve possible, qu’il nous a semblé que les tubercules caractéristiques de la lèpre en question affectaient de préférence la tête, et surtout la région frontale et celle
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du menton ‘ ; qu’ils débutaient même par ces régions; nous ferons aussi remarquer comme une particularité qui nous semblerait propre à la lèpre islandaise que les tubercules, qui, dans l’éléphantiasis des Grecs, ne manquent pas d’affecter les oreilles chez les spédalsques de la Norvège, laissent en Islande cet organe parfaite- ment libre.
La durée de cette maladie est encore plus variable que son lieu d’élection ; la lèpre , au dire de Pâllsson et d’Olafsson, ne se développe que graduellement en Islande , de manière que l’homme qui en est atteint peut encore vivre dix et même vingt ans ; il y en a cependant qui meurent un an après son invasion.
Il nous a été impossible de constater en Islande un seul cas de libido inexplehilis qui , suivant quelques auteurs, s’empare presque toujours des lépreux.
Nous n’avons pas rencontré un seul individu, quelle que fût la gravité de sa maladie, qui parût déplorer son sort, qui exhalât aucune plainte; ceux qui doivent mourir de la lèpre s’éteignent sans paraître en souffrir^: c’est qu’indépendamment de l’abolition ou de la per- version d’un ou de plusieurs des sens, l’insensibilité chez les éléphantiaques devient générale. Le plus ma-
' Après avoir fait connaître les signes précurseurs de cette maladie tels que « embarras et lenteur de la respiration , urines jumenteuses , haleine fétide, rapports continuels et très-incommodes, etc., » Arétée ajoute « le corps se recouvre de petites tumeurs, surtout vers le front et le menton. »
® Dans la lèpre anesth étique de l’Inde , au dire de Robinson , qui, le premier, a admis cette forme, les individus mutilés par les progrès de la maladie, vivent quelquefois longtemps sans être dégoûtés de la vie.
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lade de ceux que nous avons observés , fredonnait , ainsi que nous l’avons déjà dit, une chanson pendant qu’on le faisait poser pour dessiner sa figure.
L’éléphantiasis des Grecs , la spedaîskbed , passe pour être héréditaire en Islande ^ où cefte maladie franchirait quehjuefois une ou plusieurs générations : sur cent vingt-cinq spédalsques , en 1 837, le docteur Hjaltelin en cite à peine un seul qui ne descendît pas d’une famille atteinte de spedalskhed.
Quoiqu’il y ait encore des léproseries en Islande, la maladie pour laquelle elles ont été établies ", paraît cependant avoir beaucoup diminué, à moins qu’il n’en ait été autrefois de ces établissements comme de ceux de la France , où l’on donnait asile à tous les indivi- dus qui portaient des altérations plus ou moins pro- fondes delà peau, la plupart du temps, étrangères à la véritable lèpre et à l’éléphantiasis des Grecs.
Rien ne prouve que la lèpre soit contagieuse , bien que nous l’ayons observée dans une seule circonstance, chez le mari et la femme, qui l’avaient eue l’un après l’autre; mais nous devons faire remarquer que ces lépreux vivaient depuis longtemps dans le même lieu,
' Suivant Pállsson et Olafsson, cette maladie serait aussi ancienne en Islande que les habitants même qui l’auraient apportée avec eux de la Norvège où elle était connue dans les temps les plus reculés, au dire des historiens les plus anciens de cette contrée.
L’éléphantiasis des Grecs s’était manifesté en 1616 aux îles Feroë, long- temps après qu il s’etait répandu epidemiquement . à l’époque des croi- sades, par toute l’Europe ; il est à croire que c’est vers cette époque qu’il a pénétré en Islande.
Le premier hôpital pour les lépreux de l’Islande fut élevé en 1 652 dans le Vesterfîôrdingen.
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OÙ, indépendamment du hasard qui les a peut-être fait se rencontrer pour unir leur sort, les conditions d existence auxquelles ils ont été soumis, ayant toujours eteles memes, la lepre a pu fortbien se développer spon- tanément chez eux. INous avons vu assez fréquemment des individus sains habiter sous le même toit avec des lépreux, coucher côte à côte, sans en être le moins du monde atteints ; cela aurait pu aussi avoir lieu pour nous qui avons du souvent être en rapport de contact avec des lepreux, qui avons eu un guide de ce genre, et qui, cependant, au milieu de ces nombreuses affec- tions cutanées des Islandais, n’avons ( du moins celui qui écrit ces lignes ) contracté que l’une d’elles essen- tiellement contagieuse, et que pour ce fait nous n’avons pas besoin de nommer.
S il règne encore de l’obscurité sur la transmission de la lèpre ou spedalskbed, on n’est guère moins d’ac- cord sur son étiologie : on ne manque jamais de l’at- tribuer a 1 habitation dans des lieux humides, au voi- sinage de côtes , de marais ; à l’usage des viandes salées , de poissons gâtés que les peuples du Nord laissent pourrir pour qu’ils deviennent plus sapides. Cependant en Islande elle a été observée dans des circonstances tout à fait opposées et chez des gens qui, au dire de Pállsson et d’Olafsson , vivaient loin des côtes et des rivages et ne se nourrissaient que d’aliments sains k
Ils font cependant une exception pour la côte septentrionale de l’île où, suivant eux, les habitants sont sujets à la gale et à la lèpre.
On ne cite, suivant M. Beldring, pas d’exemplede lèpre dans l’intérieur
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Sans vouloir nier 1 influence de la nourriture ‘j qui, si elle ne se compose pas de viandes généralement salees, en Islande, n’en est pas meilleure pour cela , nous ferons cependant remarquer, quant à nous, que nous avons presque toujours observé cette maladie aussi bien sur le bord de la mer et des rivages que dans l’intérieur des terres , mais là surtout où les habita- tions étaient étroites, obscures et humides, où, comme on 1 a si bien fait remarquer pour les pécheurs des côtes de la Norvège, l’oxygénation du sang devait être in- complete; la ou, en un mot, tout favorisait le déve- loppement des scrofules , avec lesquelles nous avons été tente bien des fois de confondre la lèpre d’Islande ^
Aux causes générales qui dépendent de V habitat et de la nourriture , qu’on met ordinairement en avant pour expliquer l’apparition de la lèpre, il ne serait peut- être pas indifférent pour le pays qui nous occupe, de te- nir^ compte de la manière de se vêtir des habitants ; nous avons déjà dit, dans notre relation historique, que
de 1 Islande; on n’en trouve que sur les côtes. Mais que faut-il entendre par intérieur et côtes de l’Islande, car la véritable partie centrale de cette île étant à peine habitée , ne peut guère servir , ce nous semble, de point de comparaison .
* M. Beldring attribue la lèpre à l’usage que font les Islandais d’un poisson plat appelé Hydra ou Spraka du genre pleuronecte.
* « Toutes les causes , dit M. Rayer , auxquelles on attribue le déve- loppement de 1 éléphantiasis se trouvent réunies dans des lieux où l’on n’a jamais observé l’éléphantiasis des Grecs. Cependant, ajoute cet auteur , si elles ne suffisent pas pour produire cette maladie, elles peuvent favoriser son développement et l’entretenir dans certaines localités. » {Traité théo- rique et pratique des maladies de la peau, t. III , p. 848.